dimanche 10 janvier 2010

Retour sur la grippe A H1N1 : sur-réaction ou sagesse mal comprise ?

La gestion du risque sanitaire constitué par la grippe A H1N1 ne peut être analysée de manière exclusive sans prendre en compte quatre phénomènes qui justifient l’action du gouvernement :

- Les précédents au cours desquels l’Etat a été accusé d’incompétence criminelle : sang contaminé et canicule sont deux exemples emblématiques de l’attitude citoyenne qui ne pardonne aucune erreur à l’Etat ;
- Le principe de précaution, inscrit dans notre constitution et qui, selon la manière dont il est interprété, peut conduire aux décisions les plus excessives ;
- Le paradigme de la « société du risque » : bien décrit par Ulrich Beck, cette notion traduit une évolution sociétale majeure. De fait, notre société ne supporte plus de prendre le moindre risque et entretient à leur égard des rapports ambigus et passionnés.
- Les premières recommandations de l’OMS et l’incertitude sur l’évolution du virus plaidaient pour une vaccination préventive massive.

Dans ce contexte, la décision gouvernementale est moins sujette aux accusations caricaturales dont elle fait l’objet actuellement.

Ce qui doit cependant faire débat, c’est la manière dont le gouvernement a communiqué et la façon dont il a déresponsabilisé les citoyens.

Deux articles parus ce week-end dans Le Monde permettent d’y voir un peu plus clair. On y apprend notamment, que :
- « Ni les médecins généralistes, ni les parlementaires, ni les experts n'ont pas été impliqués alors qu’ils auraient pu recommander la vaccination, contrôler l'investissement de l'Etat et expliquer pourquoi l'OMS avait lancé un tel signal d'alarme.
- Cette campagne a été menée sur le mode militaire, selon une mobilisation à l'ancienne telle qu'on la concevait au temps de Pasteur : une guerre déclarée contre un virus clairement identifié comme l'ennemi dont il faut se débarrasser.
- Les choix faits par Roselyne Bachelot dans le cas du risque H1N1 supposent que la société veut se protéger au maximum, que le décès d'une seule personne devrait pouvoir être évité.
- Si vous êtes médecin, que vous voyez beaucoup de gens mourir et que vous relativisez les situations, vous ne donnez pas au principe de précaution la même interprétation… »

Ces deux articles sont des interviews de :
- François Ewald, spécialiste du principe de précaution,qui, dans « Le principe de précaution oblige à exagérer la menace », revient sur l’usage parfois abusif qui est fait du principe de précaution.
- Frédéric Keck, anthropologue au CNRS et spécialiste des crises sanitaires, qui, dans "Lutte anti-grippe A - Un échec du catastrophisme", revient sur le fait que moins 10% de la population française ait accepté la vaccination.

Le mot de la fin revient à Frédéric Keck :
« Les enjeux réels de la vaccination, dont tous les experts s'accordaient à dire qu'elle était préférable, compte tenu de l'incertitude inhérente à la nouveauté de ce virus, n'ont pas été assez expliqués. On n'a pas assez fait valoir que se faire vacciner, c'était contribuer à limiter la propagation du virus dans la population humaine –autrement dit, faire acte d'écologie sociale. Du point de vue de la rationalité des experts, tout a parfaitement fonctionné; la seule chose qui a manqué, c'est la mobilisation des citoyens. C'est vraiment un échec de la participation, de la démocratie sanitaire. […] Entre la prévision d'une catastrophe complètement virtuelle et la vie quotidienne, faite de routine et d'habitude, il y a une rupture. Et pour combler cette rupture, il faut beaucoup de médiation et de pédagogie.»

Pour aller plus loin :
Grippe A (H1N1) : la gestion du "risque psychosociologique majeur" : article sur « ETATS DE CRISES », le blog de Christian Regouby;
Grippe H1N1 On se trompe de polémique : article sur « ETATS DE CRISES », le blog de Christian Regouby;
Aux risques d'innover - Les entreprises face au principe de précaution : présentation du livre dirigé par François EWALD (nov 2009à sur le site de l'Institut de l'entreprise

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