La sortie du livre Terrorisme et antiterrorisme au Canada (Presses de l’Université de Montréal, 1er septembre 2009) pose, notamment, la question d'une évaluation des risques terroristes. Est-il pertinent de les évaluer froidement à l'aune d'une matrice croisant probabilité et risque ? Un tel exercice reviendrait à considérer ce risque comme quasiment nul sur le territoire canadien (pas d'attentat répertorié depuis 1985). Dès lors, la question de l'engagement des troupes canadiennes dans la guerre contre le terrorisme (GWOT, Global War On Terror) engagée de manière pré-emptive (au sens américain de preemption) en Afghanistan pourrait se poser. La prévention d'un risque terroriste, estimé comme quasi-négligeable, mérite-t-elle l'engagement des troupes dans un conflit lointain ?
Mais, face au terrorisme, face à cette menace pesant sur nos démocraties et remettant en cause nos idéaux, les schémas objectifs et froids ne tiennent pas et l'évaluation du risque ne saurait être simplificatrice.
Telles sont les pistes de réflexions vers lesquelles nous oriente ce livre dont voici l'extrait de présentation :
"La menace terroriste, si elle doit être conçue comme la probabilité qu’un incident hautement destructeur se produise au Canada, est pratiquement nulle. Plus précisément, elle est si infinitésimale qu’il est impossible de l’évaluer. Expliquons : il existe deux manières expertes d’évaluer les risques d’un tel attentat.
La première consiste à construire une matrice à deux variables : d’une part, la probabilité mathématique qu’un attentat survienne, d’autre part, la gravité des conséquences d’un tel attentat. On jugera que le risque est « élevé » si les probabilités sont hautes et les conséquences très graves, et « faible » si au contraire les chances sont faibles et les conséquences négligeables. Dans le cas d’un acte terroriste spectaculaire, nous sommes dans une situation difficile : les conséquences seraient sans doute très graves en termes de pertes de vies, de blessures et de dommages matériels, sans compter l’« effet secondaire » du terrorisme, la terreur ou, de façon moins théâtrale, la perte de confiance et le sentiment d’insécurité causé chez les témoins et spectateurs. Par contre, l’évaluation de la probabilité est hautement problématique. En général les experts se basent sur l’observation d’actes similaires. Or, au Canada ces actes sont si rares (le dernier remontant à 1985) que toute opération mathématique est rigoureusement impossible, reléguant l’exercice à une pure spéculation.
La seconde manière d’estimer le risque est beaucoup plus subjective encore et consiste à estimer la menace à partir de données sélectionnées à l’avenant dans l’actualité internationale. Par exemple, le fait que ben Laden ait mentionné le Canada dans sa liste d’États ennemis, en novembre 2002 (en fait il s’agissait simplement de la liste des nations ayant participé à l’invasion de l’Afghanistan) pourrait être interprété comme une menace plus ou moins imminente, selon l’opinion de l’analyste (et le temps qui passe).
Cela dit, si on accepte dans la catégorie « terrorisme » les actes beaucoup moins spectaculaires et dangereux, mais qui restent des formes de violence politique visant à contraindre, au contraire le risque doit être compris comme tout près du 100 %, à chaque année. En effet, il est presque certain qu’un faible nombre d’attaques contre des écoles juives, contre des installations de distribution d’énergie ou contre des monuments ou symboles se produiront.
Pour plusieurs raisons, l’idée que le Canada peut prévenir les attaques terroristes est farfelue — bien qu’on puisse bien sûr se préparer aux urgences et mettre sur pied des stratégies de minimisation des dégâts et d’aide aux victimes. Il n’est pas exclu, bien entendu, que certains complots soient déjoués. C’est toutefois chose très rare et à l’analyse des complots découverts récemment au Canada et aux États-Unis, on ne peut que remarquer leur amateurisme flagrant et leur faible potentiel de réussite. Premièrement, l’évolution du terrorisme international doit être prise en considération. Les cas d’attaque réellement internationale (déclenchée, financée ou téléguidée de l’extérieur du pays ciblé) sont en baisse extrêmement prononcée depuis une dizaine d’années. Leur rareté leur donne une imprévisibilité qui défie toute prévention : il n’y a pas de pattern, de modèle détectable. Cependant, la majeure partie des actes terroristes se produisant dans les pays occidentaux sont le fait d’individus nés dans le pays qu’ils attaquent ou naturalisés de longue date, fraîchement radicalisés et peu préparés. Cela signifie que leurs actes seront relativement inusités (voire farfelus) et rapidement organisés — donc aussi difficiles à détecter à l’avance. Deuxièmement, étant donné le nombre pratiquement infini de cibles vulnérables qui existent dans une société comme la nôtre, miser sur la protection est peu prometteur. Il n’existe pas de moyen de se parer contre une attaque dans le métro de Montréal ou de Toronto, par exemple — attaque qui ne brillerait pas par son originalité, ce genre d’infrastructure étant une cible populaire auprès des terroristes. On pourrait aussi faire exploser une citerne ou un wagon chargé de phosgène (élément principal à la source de la catastrophe de Bhopal) à son passage dans un quartier résidentiel, ou déverser du chlore dans le système de ventilation d’un édifice du centre-ville. La liste des possibilités est infinie et la plupart requiert très peu de moyens financiers, des compétences approximatives et une préparation minimale. "
Table des matières
La première consiste à construire une matrice à deux variables : d’une part, la probabilité mathématique qu’un attentat survienne, d’autre part, la gravité des conséquences d’un tel attentat. On jugera que le risque est « élevé » si les probabilités sont hautes et les conséquences très graves, et « faible » si au contraire les chances sont faibles et les conséquences négligeables. Dans le cas d’un acte terroriste spectaculaire, nous sommes dans une situation difficile : les conséquences seraient sans doute très graves en termes de pertes de vies, de blessures et de dommages matériels, sans compter l’« effet secondaire » du terrorisme, la terreur ou, de façon moins théâtrale, la perte de confiance et le sentiment d’insécurité causé chez les témoins et spectateurs. Par contre, l’évaluation de la probabilité est hautement problématique. En général les experts se basent sur l’observation d’actes similaires. Or, au Canada ces actes sont si rares (le dernier remontant à 1985) que toute opération mathématique est rigoureusement impossible, reléguant l’exercice à une pure spéculation.
La seconde manière d’estimer le risque est beaucoup plus subjective encore et consiste à estimer la menace à partir de données sélectionnées à l’avenant dans l’actualité internationale. Par exemple, le fait que ben Laden ait mentionné le Canada dans sa liste d’États ennemis, en novembre 2002 (en fait il s’agissait simplement de la liste des nations ayant participé à l’invasion de l’Afghanistan) pourrait être interprété comme une menace plus ou moins imminente, selon l’opinion de l’analyste (et le temps qui passe).
Cela dit, si on accepte dans la catégorie « terrorisme » les actes beaucoup moins spectaculaires et dangereux, mais qui restent des formes de violence politique visant à contraindre, au contraire le risque doit être compris comme tout près du 100 %, à chaque année. En effet, il est presque certain qu’un faible nombre d’attaques contre des écoles juives, contre des installations de distribution d’énergie ou contre des monuments ou symboles se produiront.
Pour plusieurs raisons, l’idée que le Canada peut prévenir les attaques terroristes est farfelue — bien qu’on puisse bien sûr se préparer aux urgences et mettre sur pied des stratégies de minimisation des dégâts et d’aide aux victimes. Il n’est pas exclu, bien entendu, que certains complots soient déjoués. C’est toutefois chose très rare et à l’analyse des complots découverts récemment au Canada et aux États-Unis, on ne peut que remarquer leur amateurisme flagrant et leur faible potentiel de réussite. Premièrement, l’évolution du terrorisme international doit être prise en considération. Les cas d’attaque réellement internationale (déclenchée, financée ou téléguidée de l’extérieur du pays ciblé) sont en baisse extrêmement prononcée depuis une dizaine d’années. Leur rareté leur donne une imprévisibilité qui défie toute prévention : il n’y a pas de pattern, de modèle détectable. Cependant, la majeure partie des actes terroristes se produisant dans les pays occidentaux sont le fait d’individus nés dans le pays qu’ils attaquent ou naturalisés de longue date, fraîchement radicalisés et peu préparés. Cela signifie que leurs actes seront relativement inusités (voire farfelus) et rapidement organisés — donc aussi difficiles à détecter à l’avance. Deuxièmement, étant donné le nombre pratiquement infini de cibles vulnérables qui existent dans une société comme la nôtre, miser sur la protection est peu prometteur. Il n’existe pas de moyen de se parer contre une attaque dans le métro de Montréal ou de Toronto, par exemple — attaque qui ne brillerait pas par son originalité, ce genre d’infrastructure étant une cible populaire auprès des terroristes. On pourrait aussi faire exploser une citerne ou un wagon chargé de phosgène (élément principal à la source de la catastrophe de Bhopal) à son passage dans un quartier résidentiel, ou déverser du chlore dans le système de ventilation d’un édifice du centre-ville. La liste des possibilités est infinie et la plupart requiert très peu de moyens financiers, des compétences approximatives et une préparation minimale. "
Table des matières
PORTRAIT DU TERRORISME AU CANADA
1 : Comment définir le terrorisme ?
1 : Comment définir le terrorisme ?
2 : Les buts du terrorisme
3 : L’évolution du terrorisme au Canada, 1973-2006
4 : Les causes célèbres
5 : Ahmed Ressam, produit d’un réseau terroriste
6 : Informatique et cyberterrorisme
RÉPONSES CANADIENNES AU TERRORISME
7 : Le terrorisme, crime ou acte de guerre ?
8 : La militarisation de la lutte antiterroriste au Canada
9 : Le Canada et les normes internationales antiterroristes
10 : Antigangstérisme et antiterrorisme
11 : La peur du terrorisme : les usagers des transports en commun
12 : Le langage du terrorisme dans la sphère géopolitique
Pour en savoir plus :
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