lundi 30 mars 2009

L'accident de Three Mile Island : Notion de « risque technologique majeur »


30 ans après l’accident nucléaire de Three Mile Island, l’IRSN propose un dossier qui revient sur ses causes et détaille les nombreuses leçons qui en ont été tirées pour améliorer la sûreté des centrales nucléaires dans le monde.
Le 28 mars 1979, à la centrale nucléaire de Three Mile Island (Pennsylvanie, Etats-Unis), une série de défaillances matérielles et humaines avaient provoqué la fusion partielle du cœur du réacteur nucléaire.
C’est l’occasion de revenir sur cet événement, qui a permis à Patrick Lagadec d’introduire la notion de « risque technologique majeur » (livre paru en 1981). Les quelques citations qui suivent permettent de resituer l’événement et ses enjeux en termes de gestion des risques :
- Capacité des dirigeants à gérer la crise (l’événement démontre la nécessité d’une formation spécifique)
- Amplification médiatique
- Rupture dans la conception des crises
- Disqualification des experts, qui parlent un langage incompréhensible
- Disqualification de plans de secours, qui prévoient que tout se passera bien


« En 1979, j'ai proposé le concept de risque technologique majeur pour signifier qu'en matière de sécurité nous avions à reconnaître et traiter, non seulement des sauts quantitatifs (les conséquences potentielles d'un risque changeaient d'échelle) mais des sauts qualitatifs : les risques sortaient de l'enceinte industrielle, sortaient des champs statistiques habituels (tant pour la fréquence que pour la gravité), sortaient des univers scientifiques connus, pouvaient même franchir des limites d'espace (affecter très loin de leur source) et de temps (affecter les générations futures). La question changeait de nature. On passait du technique au politique. L'extérieur, désormais lui aussi en première ligne, devenait de facto légitime pour poser question. On répondit généralement qu'il ne fallait rien pousser au noir : " Seveso n'a fait aucun mort, Three Mile Island non plus. " Cqfd. Avec Bhopal et Tchernobyl, on commença à se montrer plus attentif. Mais toujours avec cet optimisme conduisant à anticiper l'avenir à partir du seul examen des rétroviseurs à disposition. » in Patrick Lagadec, Risques et Crises : nouvelles frontières, nouvelles responsabilités, revue Alliage, n°48-49, automne 2001 (http://www.tribunes.com/tribune/alliage/48-49/Lagadec_48_49.htm)


Three Mile Island (Richard Thornburgh, Gouverneur de Pennsylvanie)
"L'exploitant, l'administration et les autres intervenants se contredisaient, disaient au public soit moins, soit plus qu'ils n'en savaient. De soi-disant experts commencèrent à exagérer les dangers, ou au contraire le non danger de la situation. L'exploitant qui, à l'origine, apparut comme parlant d'un grand nombre de voix - avant de se taire complètement par la suite - ne sut guère assurer sa crédibilité. L'entreprise commença ce premier jour à tenter de minimiser l'accident - nous assurant : "Tout est sous contrôle", quand nous devions apprendre plus tard que tel n'était pas le cas […] De son côté, le président de la NRC, Joseph Hendrie, déclara que nous n'avions jamais frôlé la fusion du cœur - ce qu'il n'avait aucun moyen de savoir à ce moment-là. […] Et pire encore, le directeur de la sécurité civile appela le directeur local de la défense civile qui appela lui-même une radio locale en lui disant que l'annonce d'un ordre d'évacuation du gouverneur pourrait être imminente. Je n'étais moi-même pas encore informé. Quand la nouvelle me parvint qu'un certain docteur Collins de Washington disait que nous devions évacuer, je n'avais pas la moindre idée de qui il était ni pour quelles raisons il faisait pareille recommandation. Et je n'avais pas l'intention d'évacuer des milliers de gens sur la base d'une information aussi incomplète. Je commençai à poser des questions, mais la difficulté que je rencontrais à obtenir des réponses était exacerbée par… la saturation de notre standard téléphonique : la nouvelle prématurée et erronée d'une évacuation et aussi le fait mystérieux qu'une sirène se soit mise à sonner (!) avait semé un grand émoi dans la ville." (In Patrick Lagadec, Etats d'urgence, Seuil, 1988, p.85-90)
"Dès 8h du matin, un journaliste qui suit au scanner les transmissions de la police et des pompiers identifie une activité particulière liée à la centrale; aussitôt prévenu, son directeur appelle TMI (Three Mile Island), est mis par erreur en relation avec la salle de contrôle et s'entend répondre : "Je ne peux pas parler maintenant, nous avons un problème". La nouvelle est donnée par cette radio de Harrisburg à 8h25. A 9h06, l'Associated Press diffuse l'information. Par la suite, les médias continueront à montrer leurs capacités : à partir des numéros d'immatriculation des véhicules en stationnement à la centrale, des journalistes remontent aux employés et parviennent à glaner des informations [3, p.48]. Mieux : à force de patience, un reporter finit par repérer la fréquence radio utilisée par les officiels : "Stationné sur l'autre rive du fleuve, il manipulait son scanner à la recherche des transmissions établies depuis la centrale. Rien sur la fréquence de l'exploitant ni sur celle de la police. Il changea alors pour la fréquence présentée dans son manuel comme celle réservée aux 'communications interministérielles en cas de guerre nucléaire. Et ils étaient là." (J. Kemeny : Report of the President's Commission on the Accident at Three Mile Island, Pergamon Press, New York, 1979, p. 104 ; p. 52)


"Le rapport officiel sur l'accident de Three Mile Island comprend 19 pages intitulées : "Recommandations de la commission". Seules deux de ces pages relèvent de l'appréciation technique. Les 17 autres traitent principalement de procédures relatives à l'organisation et à la formation." (E. Bjordal : "Is risk analysis obsolete ?", Loss prevention and safety promotion in the process industries, 3rd International symposium, Basle, sept. 15-19, 1980, vol. 2, p. 643)

Pour aller plus loin :
dossier sur l'accident de Three Mile Island et ses enseignements pour la sûreté des centrales nucléaires en France : http://www.irsn.fr/index.php?position=three_mile_island

dimanche 29 mars 2009

RED RIVER FLOODING et KATRINA



Les inondations qui frappent actuellement le Nord des Etats-Unis sont l’occasion de revenir sur la gestion de Katrina par le gouvernement US :
- L’événement s’est produit fin août 2005.
- Il a fait 1 500 morts (alors que les attentats du 11 Septembre en ont fait 2 986). L’évaluation immédiate du nombre de morts prévoyait jusqu'à 10.000 morts (selon les propos du sénateur républicain Vitter ; on retrouve parfois ce chiffre erroné dans les articles consacrés à l’ouragan).
- Géographiquement, la superficie sinistrée (225 000 KM²) représentait la moitié de la superficie française.
- Economiquement, il a causé des dommages évalués entre 50 et 100 Mds $
- Politiquement, il a surtout valu de violente critiques contre l’administration Bush qui a mal géré le risque et la crise :
o La FEMA (Agence fédérale de gestion des situations d'urgence) a vu dans les années précédant l’ouragan ses budgets décroître au profit de la lutte contre le terrorisme ;
o Les enseignements de l’exercice Pam (joué au printemps 2004) n’ont pas été appliqués. L’exercice simulant les effets d’un ouragan sur la Nouvelle-Orléans avait précisément démontré les conséquences d’une telle catastrophe, préfigurant le scénario qui s’est effectivement réalisé. Les autorités américaines avaient donc tous les éléments d’information nécessaires pour gérer ce risque.
o Les rapports d’enquête réalisés par la Maison blanche, la chambre des représentants et le Sénat US, qui ont été analysés par Patrick Lagadec (http://www.patricklagadec.net/fr/ ) ont mis en évidence de multiples dissonances dans la gestion du risque et de la crise, notamment « a failure of initiative » et « a lack of leadership ».
- Médiatiquement : Katrina a fait moins de morts mais a bénéficié d’une couverture médiatique 40 fois plus élevée que celle de l’ouragan Stan (25 articles, plus de 1600 morts au Guatemala).
- Militairement, les rapports d’enquête pointent un emploi de la puissance militaire (300 soldats de retour d’Irak et 22 000 gardes nationaux) défectueux, par manque de préparation des autorités à cette éventualité. Dans le même temps, les rapports concluent que le recours à l’armée est inévitable face à une crise de cette ampleur.

Le nécessaire recours aux militaires :

Daniel Vernet écrivait dans son éditorial du Monde le 9 septembre 2005, « A quoi sert-il de vouloir garantir la sécurité des Américains en se battant en Irak, voire en tentant d’y implanter la démocratie, si dans le même temps il n’est pas possible de les protéger contre des aléas certes naturels mais dont les conséquences au moins devraient être humainement maîtrisables ? »

Depuis, le recours à l’Armée est systématique :

- Automne 2007, USA : Bush réquisitionne les militaires pour lutter aux côtés des pompiers contre les feux de forêts qui ravagent la Californie ; 6 avions militaires sont transformés en bombardiers d’eau.
- Août 2008 en France, une centaine d’hommes de l’armée de Terre intervenait dans le Nord à Hautmont, pour « effacer les stigmates de la tempête » (Le figaro, Edition du 12 août 2008).
- Janvier 2009 en France: face à la tempête Klaus, le gouvernement français déploie 1500 soldats et utilise quatre Mirages chargés de photographier les zones touchées par Klaus et « permettre ainsi aux autorités civiles d’optimiser les secours ».

L’Armée permet ainsi de mettre en œuvre :
- Une ressource humaine, même si elle est de plus en plus contrainte
- Une structure de commandement
- Des matériels (avions, hélicoptères, drones, …).
Les actuelles inondations de la Rivière rouge comprennent l’intervention des soldats pour renforcer les digues et l’emploi de drones pour préciser les risques.

Pour conclure, cet événement pose les questions suivantes :

- Les événements climatiques, fortement médiatisés, semblent devenir chaque fois plus exceptionnels. Les pressions médiatiques transforment ces événements en crises de grande ampleur.
- L’attente de la population est forte pour que l’Etat agisse et gère la crise.
- Quid, compte tenu des moyens militaires contraints, d’une réaction européenne face à de tels événements ?